Bienveillance et management

Bienveillance et management

Merci pour ces expériences. Lundi, je disais à un de mes élèves qui arrivait en retard : « Finalement le fait que vous ne me voliez pas mon portefeuille ne me dit pas grand-chose sur vous. Comme vous êtes obligé de le faire, ça ne prouve pas que vous me respectiez. Par contre le fait que vous arriviez en retard me dit que vous ne me respectez pas, puisque vous n’êtes pas obligé de le faire. » Ça me fait penser – ce qui a été dit sur la politesse – à André Comte-Sponville. Dans son livre Petit Traité des grandes vertus, qui n’est pas un grand traité des petites vertus, il dit que la politesse est la plus petite des vertus et pour cela c’est la plus intéressante. Parce que c’est celle qu’on n’est pas obligé de respecter. Donc c’est bien dans la politesse, comme vous l’avez dit, que l’essentiel peut se jouer.  Attention parfois à de petites choses qui peuvent devenir de grandes.

La bienveillance me fait penser à une idée qui a vingt-quatre siècles, qui est énoncée par Aristote. Aristote dit tout simplement : « Avant de dire une chose, posez-vous trois questions. Est-ce que ce que je vais dire est vrai ? Est-ce que ce que je vais dire est utile ? Est-ce que ce que je vais dire est bienveillant ? Et si vous ne répondez pas  » oui  » aux trois questions, ne le dites pas. » C’est très simple comme règle de management, mais finalement c’est assez efficient, me semble-t-il, à propos de la bienveillance.

Cette idée de bienveillance me renvoie à une autre idée. Je ne sais pas si vous connaissez Daniel Herrero, le rugbyman. Il dit une chose toute simple. Le grand capitaine de rugby – et on transpose pour un manager – a toujours trois qualités : il est intelligent, il est courageux et il est gentil. Alors j’ai fait souvent l’expérience d’énoncer cela dans des conférences de management. Et il y a toujours quelqu’un qui me dit : « Écoutez, vous êtes gentil avec votre histoire de gentillesse, mais la vie de l’entreprise, ce n’est pas cela. On ne peut pas être toujours gentil. » Alors effectivement, il y a gentil et gentil. En fait, je pense que Daniel Herrero – en tout cas je le comprends dans ce sens – parle de l’empathie. Ce n’est pas être gentil en ce sens que je suis toujours d’accord avec l’autre et que je lui passe tout. L’empathie est une gentillesse dans le réalisme.

Ceci nous renvoie à une tension – j’ai beaucoup apprécié ce qui a été dit sur l’innovation – qui est la tension fondamentale de la stratégie. D’un côté, il y a le réalisme et on ne peut pas s’en extraire. Et de l’autre côté, il y a l’innovation qui est tout simplement négation du réel pour faire émerger un monde nouveau. Et comme l’a dit Jean-Paul Delevoye, cette tension entre le réalisme et l’innovation se résout dans le temps. Ou pour le dire autrement, pour l’innovation et les macarons, il faut la durée.

On retrouve cette tension dans un discours qui est assez présent, c’est qu’il faut s’adapter au réel. On vous dit toujours – par exemple à la radio – : « Il faut que la France s’adapte, il faut s’adapter, etc. » L’homme intelligent s’adapte au réel, c’est connu, et l’imbécile cherche à adapter le réel à lui. Le seul problème que ça pose, c’est que tous les progrès de l’humanité ont été faits par des imbéciles. Et je trouve ça assez troublant. Il y a toujours dans ce qui nous est présenté une apparence de naïveté sauf que c’est cette capacité de projection et de sortir de la simple adaptation qui nous permet d’innover.

Le discours sur l’adaptation au réel, on voit au niveau politique ce qu’il donne. On dit aux gens : « Il y a la mondialisation, le monde est dur, alors vous votez pour ça. » On demande à tout le monde de voter pour sa propre punition. Avec ce discours-là en 2005, Jacques Chirac a réussi à battre un record du monde. Comment je perds 25 % d’intentions de vote en quatre semaines de campagne. Il annonce un référendum, le « oui » est à 70 %. Et là il dit : « Il faut voter  » oui  » parce que le monde est dur et vous allez voter pour ça. » Et le résultat quatre semaines après, c’est 45 %. C’est un record du monde. Vous voyez comme c’est populaire d’avoir un discours qui est uniquement fondé sur le réel et qui ne contient pas sa part d’innovation et d’utopie. Merci.

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