Gafa : le crime stratégique est presque parfait

Gafa : le crime stratégique est presque parfait

Thomas Benzazon : Sun Tzu disait déjà cinq siècles avant Jésus-Christ qu’un bon général est celui qui remporte la victoire sans même mener bataille. J’étais pourtant persuadé que plus on travaillait plus on créait de la valeur. Ce n’est peut-être pas le cas. En tout cas aujourd’hui j’ai le plaisir d’échanger avec Bruno Jarrosson. Bonjour.

Bruno Jarrosson : Bonjour.

TB : Bruno Jarrosson vous êtes consultant en stratégie, dramaturge et auteur de nombreux ouvrages dont le dernier De Sun Tzu à Steve Jobs : une histoire de la stratégie. Je me suis donc trompé sur le travail et sa valeur ?

BJ : On peut se poser la question : pourquoi Bill Gates est l’homme le plus riche du monde ? Est-ce que c’est parce qu’il a travaillé plus que les autres ? C’est lui qui a travaillé le plus au monde ? Je ne crois pas. Mais il a résolu un problème stratégique de façon élégante. Le problème, c’est comment prélever un impôt sur un territoire ? Il y a trois mille ans que les hommes se font la guerre pour ça. Eh bien lui, pendant plus de trente ans, avec le sourire, sans combattre, comme le prescrivait Sun Tzu, sans guerre, il a prélevé un impôt sur à peu près toutes les entreprises du monde et sur à peu près tous les particuliers du monde. Ça c’est élégant.

TB : C’est le coût de transfert ?

BJ : Il a mis en place un coût de transfert, c’est-à-dire rendu ses clients captifs. Ce qui produit un espèce d’effet de levier. C’est-à-dire que la force est au bon endroit et donc qu’avec peu de travail il produit beaucoup de valeur. Alors que dans d’autres activités en général, il faut beaucoup travailler pour progresser un peu. Eh bien la stratégie, c’est ça, c’est mettre la force au bon endroit. C’est créer un effet de levier.

TB : Pour Bill Gates, le crime était donc parfait. Pour les Gafa aujourd’hui, il est presque parfait ?

BJ : Eh bien on voit qu’ils essaient de reprendre le raisonnement et puis Google a pris une longueur d’avance. Puisque je crois qu’ils ont une très très grosse trésorerie, de gros revenus. On parle de 100 milliards de dollars. Enfin ce n’est pas comme si c’était une grosse somme mais quand même. L’objet de la bataille entre Google, Amazon, Facebook et Apple, c’est : qui va capter cette source de valeur dans l’information qu’il y a sur Internet de façon récurrente et sans avoir à trop se fatiguer ? Et je ne sais pas encore qui va gagner.

TB : Alors là ce sont les batailles de temps modernes. Dans l’ouvrage ou retrouve d’autres batailles. La bataille de Verdun, perdue, à la fois pour les Allemands, pour les Français, il y a beaucoup de morts. Il y a une autre bataille dont vous parlez dans l’ouvrage : Le Débarquement, réussi cette fois-ci. Et là on se retrouve avec deux stratégies différentes pour des résultats tout aussi différents.

BJ : Ces deux exemples illustrent bien que derrière les stratégies, il y a des idées. Verdun : approche directe, massive, inspirée de Clausewitz, 320 000 morts pour les Français, 320 000 morts pour les Allemands. Résultat : on est revenu au point de départ. Vraiment la stratégie perdant / perdant. Le Débarquement : stratégie indirecte inspirée par Basil Liddell-Hart, on vous attend dans le Pas-de-Calais, vous débarquez en Normandie. Et cette stratégie réussit grâce à ça. Le Débarquement devait rater. C’est un exploit stratégique qu’il ait réussi.

TB : Alors appliqué aux entreprises, est-ce que ça veut dire qu’en tant que start-up il faut aller là où on ne m’attend pas ?

BJ : J’ai envie de dire que les start-uper sont un peu les Sun Tzu des temps modernes. C’est-à-dire qu’ils ont découvert un nouveau champ, un nouveau continent auquel ils vont pouvoir appliquer du Sun Tzu. Leur mode de raisonnement, c’est chercher les noeuds d’amplification, c’est effectivement chercher la surprise. Donc c’est en général du raisonnement de Sun Tzu. Ce phénomène réunit des idées qui sont anciennes mais néanmoins très intéressantes et puis un sujet d’expérimentation complètement moderne.

TB : Bruno Jarrosson, un grand merci à vous. Je renvoie tous les téléspectateurs, tous les start-uper, ces Sun Tzu des temps modernes pour reprendre vos propos à votre ouvrage De Sun Tzu à Steve Jobs : une histoire de la stratégie.

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