L’imprévisible

L’imprévisible

Le monde est imprévisible et ce n’est pas nouveau. Et la conséquence du fait que le monde est imprévisible est la suivante : c’est que quand nous prenons une décision, nous ne sommes jamais sûrs de ses conséquences. Pour deux raisons toutes simples : la première c’est que nous prenons la décision avec une information partielle – nous n’avons jamais toutes les données, comme quand j’achète des chaussures, je ne vais pas voir tous les magasins de chaussures – et la deuxième raison, c’est que notre décision va entrer en interaction avec les événements que nous ne connaissons pas. Une décision peut être très bien conçue mais les événements peuvent faire qu’elle tourne moins bien.

Je vous raconte une petite histoire vraie. C’est une histoire américaine bien qu’elle soit typiquement française puisque c’est l’histoire d’un homme qui avait une maîtresse. Et il avait pris rendez-vous avec sa maîtresse un matin. Ça se passe à New York. Donc il arrive chez elle à huit heures et demie du matin, il éteint son téléphone, la télé, la radio et il fait ce qu’il avait prévu de faire. Jusqu’à midi. À midi, il sort. Le plan était presque parfait. Sauf que cette histoire se passe le 11 septembre 2001 et que ce monsieur avait son bureau au World Trade Center. Donc à midi, il sort et sur le palier il allume son téléphone portable. Le téléphone sonne. Il a sa femme hystérique au bout du fil qui lui dit : « Mais enfin, où es-tu ? – Je suis au bureau, où veux-tu que je sois ? ». Divorce quelques mois après et aux États-Unis, ça coûte cher.

Donc vous voyez que les événements peuvent détourner les décisions. La morale de l’histoire, je ne la connais pas. Je connais une morale de l’histoire. N’oubliez pas qu’avant de garder le moral, il faut garder la morale. Donc vous voyez que les décisions peuvent tourner différemment de ce que parfois on pense.

Alors il y a un monsieur qui s’appelait Herbert Simon – qui n’est pas le petit copain de Garfunkel – mais un prix Nobel d’économie qui a donné une théorie sur la décision, la théorie de la rationalité limitée. Qui consiste à dire : « Vous êtes, vous décideurs, limités en capacité de prévision et limités en information. Et vous devez essayez, dans cet univers limité, d’être quand même rationnels. Et surtout ne vous illusionnez pas sur la fait que le monde n’est pas incertain. » J’aime beaucoup cette théorie de la rationalité limitée parce que pour la première fois dans l’histoire, on associe la raison à la modestie. Alors que toute notre construction humaniste a été plutôt d’associer la raison à l’arrogance, la raison dominatrice du monde.

Mais ce n’est pas comme ça que se passent les choses. Supposez un patron qui se dit : « Tiens, au conseil d’administration, je vais leur dire la vérité sur la décision. » Il arrive et il leur dit : « Voilà, Messieurs, j’ai pris la décision d’acheter cette entreprise en Italie. Mais je vais vous dire la vérité, je ne suis pas du tout sûr que ça va bien se passer. » C’est la vérité. « Et d’ailleurs, je n’ai pas toutes les informations. » Imaginez la stupeur du conseil d’administration qui va lui dire : « Non mais attendez, vous n’êtes pas là pour nous dire que ça ne va pas bien se passer. Vous êtes là pour faire en sorte que ça se passe bien. On s’est mal compris, là. »

Donc, que va faire le décideur ? Il ne va pas dire la vérité. Donc il va faire ce que l’on appelle de l’enfumage par omission.

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