Une petite douleur à la hanche, éditions En avance, 2016

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Une petite douleur à la hanche

Il virevolte. Trois cents paires d’yeux sont fixées sur lui. Seul sur scène, sauts, tours en l’air, entrechats. Seul au monde.

L’air le porte, s’il le voulait il ne retomberait pas. Semble-t-il.

Ligne parfaite qui à chaque seconde se recompose en une autre perfection.

La perfection immobile est devenue mouvement.

Précision infinie. Chaque membre, chaque doigt est exactement où il doit être.

L’air le porte comme soumis par l’art. Le public le porte lui aussi, dompté par cette absolue précision du mouvement qui accroche une goutte de passé et une goutte d’avenir dans le présent. Petite éternité de ce présent étiré sous la beauté.

Son visage est beau. Il ne sourit pas. Beau, grave, sérieux. Il nous parle d’un ailleurs, entrouvre une porte sur un mystère obscur. Et ça continue, les figures s’enchaînent, la musique impose son tempo. Est-ce que je veux connaître ce mystère ? Oui, non, peut-être. Bien sûr que oui et que non.

Mes joues sont humides de bonheur.

Il salue enfin. Sourire éclatant. La salle applaudit à tout rompre. C’est incroyable, c’est mon fils. Il a dansé comme un dieu. Comme chaque fois.

Mon fils a fait cela, échappé de moi, échappé de la pesanteur, introduit au banquet des seigneurs de la grâce. Il n’y a rien à dire. Cet enfant est aérien. Il descend les escaliers sans toucher les marches, comme me l’a dit une des ses institutrices.

Il n’y a plus rien à dire. Le temps a trouvé son acmé. La petite éternité s’est ouverte sur la grande. Je crois que sa forme est encore dans l’air, hors sol.

Entracte. Il vient dans la salle de sa démarche tranquille. Ses professeurs de danse viennent le féliciter. Des petites filles lui demandent de signer leur programme. C’est la première fois. Étonnement, jeu. Il s’exécute gentiment.

Il a dansé comme un dieu.

Tout est bien, tellement bien. La musique est bien, la danse est bien, cet enfant est bien, le public est bien, ce dimanche est bien. Oui, tout est tellement bien qu’il suffit de se laisser porter. L’harmonie a trouvé son refuge, il faut l’accepter. C’est bizarre, mais tout est bien.

Il a juste parlé d’une petite douleur à la hanche.

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