Émotion et changement

 

Émotion et changement

 

 

Donc vous connaissez les travaux d’Elisabeth Kübler-Ross sur le deuil face au changement négatif. On dit que l’acteur passe par cinq étapes : le déni – c’est pas vrai –, la colère – si c’est vrai je vais tout casser –, le marchandage – c’est peut-être pas si grave –, la tristesse – eh bien si, c’est grave – et l’acceptation – eh bien puisque c’est comme ça, je l’accepte. Et on a tendance à dire qu’il faut passer toutes ces étapes pour accepter, pour entrer dans le changement négatif.

Bon je n’insiste pas là-dessus parce que c’est assez connu. Ce qui m’intéresse par rapport à la question du changement est la question de l’émotion. Car sur les cinq phases, il y en a deux qui sont des phases purement émotionnelles, la colère et la tristesse. Or maintenant nous savons beaucoup de choses sur le mécanisme des émotions dans notre cerveau et nous savons que homo sapiens a génétiquement programmé six émotions fondamentales. Qui sont : la colère, la tristesse, la peur, le dégoût, la surprise et la joie. Et si on s’interroge : pourquoi homo sapiens a génétiquement programmé ces six émotions, on s’aperçoit que ce sont des émotions qui l’ont aidé à survivre. Je vous ai dit ce matin que homo sapiens était assez malin, adapté pour survivre. Mais par contre, il a un processus émotionnel qui le fait réagir très rapidement.

Donc la colère augmente la puissance physique. Dans un combat, si vous êtes en colère contre un adversaire, vous avez plus de chances de gagner. Accélération de la pression sanguine, etc. La peur idem. Je ne sais pas quel est votre record au cent mètres, mais je suis prêt à parier qu’avec un lion dans le dos vous allez le battre. La tristesse est l’émotion que nous reconnaissons le plus facilement chez les autres. Et donc c’est une émotion qui nous pousse, quand nous la reconnaissons, à apporter de l’aide. Et donc si les hommes reconnaissent facilement la tristesse, c’est parce qu’ils vivent en groupe. Ils ne sont pas très capables de vivre seuls et leur survie est fondée sur leur capacité à coopérer. Et finalement le dégoût : on sait maintenant que le dégoût du serpent ou du scorpion est génétiquement programmé chez l’homme. Pourquoi ? Parce que ce sont des animaux dangereux, mais ça ne se voit pas à leur taille qu’ils sont dangereux. Donc il faut un autre signal pour éviter que les gamins dans la forêt vierge aillent tripoter les serpents vénéneux, venimeux pardon. Voilà. La surprise permet de manifester au groupe le danger.

Il n’y a qu’une émotion dont on ne sait pas à quoi elle sert c’est la joie. Mais comme disait Voltaire : « J’ai décidé d’être de bonne humeur, c’est meilleur pour la santé. » Alors en fait ce n’est pas tout à fait vrai parce qu’il y a des tests récents qui semblent montrer que quand on est de bonne humeur, on a quand même dix points de QI en plus que quand on est de mauvaise humeur. Donc dites-vous bien qu’être de mauvaise humeur c’est vraiment un luxe sauf si vous êtes des génies encombrés par votre quotient intellectuel. Voilà.

Alors, qu’est-ce que je voulais dire par rapport à cela ? Le processus émotionnel fonctionne de la façon suivante : un, il est indépendant de notre volonté. D’accord ? Un truc nous fait peur, ça nous fait peur. Un truc nous met en colère, ça nous met en colère. Deuxièmement, une émotion qui n’est pas réactivée dure entre vingt et quarante minutes. C’est un processus chimique. Donc quand quelqu’un est colère, la meilleure chose que vous avez à faire, c’est d’attendre quarante minutes. D’accord ? C’est pas la peine de réactiver. Troisièmement, les neurotransmetteurs qui vont du cerveau émotionnel au cerveau cognitif sont extrêmement efficaces puisque les émotions, c’est pour nous faire prendre des décisions rapides. Donc le raisonnement : « Il m’a mis en colère, donc c’est un connard » fonctionne extrêmement bien. Les neurotransmetteurs qui vont du cerveau cognitif au cerveau émotionnel fonctionnent mal et sont lents. Il y a même des gens chez qui ils ne fonctionnent pas. Donc du genre : « Il m’a mis en colère mais il ne l’a pas fait exprès, c’est pas grave et je ne lui en veux pas et passons à autre chose », ça prend du temps. Et ça ne marche pas toujours. D’accord ?

Bien. Alors qu’est-ce que ça veut dire par rapport au changement ? Cette affaire-là. Ça veut dire deux choses. D’abord, dans un changement – dans un changement négatif je veux dire – il faut gérer le temps. Donner le temps aux acteurs de passer leurs émotions. Et ce n’est pas la peine de leur expliquer qu’ils ont tort, c’est plus une question de temps que de raisonnement. Deuxièmement, ne faites pas de secret inutilement. Du genre : « Bon on va attendre pour leur dire parce que ça va leur faire de la peine. » Des fois, on est obligé de faire du secret. Bon. Mais retarder une mauvaise nouvelle si on n’est pas obligé, ce n’est pas une bonne idée. En tout cas, ça ne va pas faciliter le changement. Bien au contraire.

Troisièmement, je vous signale que homo sapiens, finalement, est encombré de ses émotions négatives parce que ce sont surtout des émotions désagréables. Et c’est pour ça d’ailleurs que tous les philosophes ont toujours considéré que la question du bonheur était une question philosophique. C’est parce que nous passons quand même une bonne partie de notre vie dans un magma émotionnel désagréable. Et en sortir pour goûter le bonheur, ce n’est pas si simple que ça. Ce n’est pas si immédiat. Bon. Donc troisièmement la seule façon qu’a trouvé homo sapiens de bien gérer ses émotions négatives, c’est d’agir. Plus vous donnez aux personnes de leviers d’action dans le changement, mieux elles se sentiront par rapport au changement négatif.

Si vous dites à quelqu’un : « Écoutez, c’est comme ça, c’est tout de suite et vous n’avez rien à y faire, vous n’y pouvez rien », vous augmentez fortement la probabilité que ça se passe mal.

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