Les taux d’intérêt et l’euthanasie du rentier

 

Les taux d’intérêt et l’euthanasie du rentier

Bonjour les stratèges et les autres. Aujourd’hui j’ai mis ma cravate la plus discrète pour vous parler de la troisième euthanasie du rentier et des taux d’intérêt bas, voire négatifs. Depuis un an les économistes du monde entier s’étonnent que les taux d’intérêt puissent être négatifs, ça fait déjà quelques années au Japon, et surtout qu’ils puissent le rester. Alors on pensait que c’était forcément temporaire. Et c’est vrai que des taux d’intérêt négatifs, c’est-à-dire que l’on puisse payer pour prêter son argent, c’est un concept un peu bizarre.

Alors je relie ça à une idée de Keynes, notre grand maître à tous en économie, qui a écrit un article un jour pour dire que le seul problème sérieux de l’économie, c’était l’euthanasie du rentier. Si à échéance régulière on n’euthanasie pas le rentier, le capital se concentre, on a une société de rentiers dans laquelle on ne peut pas entreprendre, les entrepreneurs ont du mal à faire leur place parce que les taux d’intérêt sont élevés et puis les fortunes se concentrent et se transmettent et donc l’économie en pâtit et ralentit.

Alors on observe que effectivement, il y a eu dans l’histoire des mécanismes d’euthanasie du rentier. Les rois empruntaient puis ensuite tuaient leurs créanciers ce qui était une forme assez barbare d’euthanasie du rentier. La Révolution Française a été une façon de faire changer le capital de main puisque la bourgeoisie a passé la noblesse par pertes et profits, s’est accaparé ses biens, et a construit une nouvelle société de rentiers au xixe siècle, fondée sur l’État de droit. Ça disait quoi l’État de droit ? Ça disait que c’est fini de tuer ses créanciers, qu’on doit rembourser ses dettes. Effectivement, le xixe siècle a été une société de rentiers et finalement pas de forte croissance.

Ceci a volé en éclats en 1914 où on a inventé une nouvelle forme d’euthanasie du rentier qui est l’inflation. Et au xxe siècle effectivement, il y a eu beaucoup de création d’entreprise, beaucoup de croissance et beaucoup d’inflation. Le franc d’après-guerre valait un cinquième du franc d’avant-guerre. Je parle de la Première Guerre mondiale. Donc tout allait très bien pour tout le monde, sauf évidemment pour les rentiers qui ont été ruinés au xxe siècle. À la fin des années soixante-dix, les rentiers se sont réveillés, les détenteurs de capitaux, en imposant que l’on interdise l’inflation. Alors pour ça, ça a été une tactique en deux temps, on a rendu les banques centrales indépendantes des États et elles ont appliqué des taux d’intérêt prohibitifs pour casser l’inflation. Et ça marché. À partir des années quatre-vingt, on n’a plus d’inflation et on voit à nouveau le capital se concentrer et apparaître de-ci de-là des sociétés de rentiers et des mentalités de rentiers. D’où d’ailleurs un certain blocage de l’économie. Eh bien voyez-vous, je pense que les taux d’intérêt négatifs est la troisième voie, après la violence et après l’État de droit, les banques centrales indépendantes, est la troisième voie pour avoir l’euthanasie du rentier. Parce qu’en effet, les États de droit sont toujours de droit, c’est-à-dire qu’il est mal vu de tuer ses créanciers, les banques centrales ne sont toujours pas décidées ou n’ont plus la possibilité de créer de l’inflation, donc qu’est-ce qu’il faut faire ? Eh bien des taux d’intérêt négatifs, c’est une forme d’euthanasie du rentier. Et donc c’est bon pour l’économie et il faut, du point de vue du développement économique, se réjouir que les taux d’intérêt soient négatifs. Et de fait d’ailleurs, beaucoup de personnes peuvent entreprendre parce qu’elles empruntent pour pas cher. C’est favorable à la construction mais c’est aussi favorable à la création d’entreprise.

Ce qu’il y a de merveilleux pour l’instant dans cette euthanasie du rentier, c’est que ça se fait avec le consentement du rentier. C’est-à-dire qu’on met des taux d’intérêt négatifs dans l’espoir que les rentiers, au lieu de placer leur argent en obligations d’État ou en obligations toutes simples vont investir dans des entreprises et pour l’instant, ça n’augmente pas l’investissement dans les entreprises. Comme si les rentiers disaient : « Oui, oui, oui, je veux être euthanasier lentement mais sûrement. » Bon. Ce n’est pas excellent d’ailleurs car il vaudrait peut-être mieux que l’argent de l’épargne aille davantage dans l’économie entrepreneuriale mais enfin ça se passe comme ça et finalement on ne va pas se plaindre que les rentiers soient euthanasiés avec leur consentement.

Donc qu’est-ce qu’on peut tirer de tout ça ? D’abord que les taux d’intérêt négatifs, c’est une bonne nouvelle. Deuxièmement que ceux qui placent leur argent en obligations sont les dindons de la farce et des pigeons. Et troisièmement bien sûr, mais ça c’est vrai tout le temps, c’est qu’il faut placer son argent dans les entreprises parce que c’est là que se crée la valeur.

Voilà les stratèges et les autres ce que je voulais vous dire sur l’euthanasie du rentier et sur le lien entre les taux d’intérêt négatifs et la relance ou le dynamisme de l’économie. À bientôt.

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