Les trois fonctions de la marque

 

 

Les trois fonctions de la marque

 

 

Bonjour les stratèges et les autres. Alors s’il y a un sujet qui a émergé ces trente quarante dernières années en stratégie, un objet nouveau, un facteur de valeur qui a pris de l’importance, c’est celui de la marque. Dans beaucoup de métiers, il faut avoir des marques. Le patron d’une entreprise de jus de fruits me disait : « La seule stratégie, c’est d’avoir des marques premium. » Etc. etc. Alors à quoi ça sert, la marque ? On n’a pas toujours les idées claires. En fait, ça peut servir à trois choses.

Bon, la première, la plus évidente, qui est un peu l’origine de la marque, c’est de rendre une différenciation non imitable. Je m’appelle Lacoste, je fais des polos, je mets un petit crocodile et je n’ai pas envie que on puisse vendre les mêmes polos, que ce soit vendu et fabriqué par d’autres. Donc je les appelle les polos Lacoste avec le petit crocodile. Ça permet de faire que cette différenciation, si elle existe d’ailleurs, ne soit pas considérée comme facile à imiter. Vous pouvez faire des polos qui ressemblent aux polos Lacoste mais ce ne sont pas de polos Lacoste. Donc j’ai rendu ma différenciation non imitable puisque une différenciation qui réussit est vouée à être imitée et banalisée.

Deuxième fonction de la marque qui est un peu moins vue mais qui est pourtant très importante, c’est de se mettre en bonne posture de négociation dans la chaîne de valeur ajoutée. Alors ça veut dire quoi ? Ça veut dire que je suis une marque, je m’adresse au consommateur final, ce qu’on appelle du B to C, business to consumer, et je veux en fait que ma marque soit connue des consommateurs. Pourquoi ? Et non pas de mes clients. Pourquoi ? Parce que quand je négocie avec mes distributeurs je vais être en rapport de forces favorable parce que mes distributeurs, ils sont obligés d’avoir ma marque dans leurs magasins puisque leurs clients viennent acheter cette marque dans leurs magasins. Donc quand quelqu’un va chez Carrefour – enfin Carrefour ou un autre, peu importe – il n’y va pas forcément pour l’enseigne Carrefour. Il y va parce qu’il trouvera chez Carrefour ses produits habituels, son coca-cola, etc. Autrement dit, si je suis une marque de produits alimentaires, je ne fais pas connaître ma marque pour mes clients qui sont les distributeurs mais pour les clients de mes clients qui sont les consommateurs. Pourquoi ? Parce que si je suis coca-cola et que ma marque est évidemment très connue des consommateurs, quand je négocie avec mon distributeur je suis en position bien plus forte puisque je peux à ce moment-là lui dire : « T’es obligé de prendre mon produit puisque que tes clients viennent dans ton magasin pour acheter mon produit. » On pourrait appeler ça la stratégie « Intel inside ». Sur les ordinateurs, il y a un petit sticker souvent « Intel inside ». Bon, personne n’a jamais vu in microprocesseur, personne ne sait ce que c’est, personne n’est même sûr que ça existe. Mais en tous cas Intel a fait connaître sa marque auprès du consommateur final ce qui semble dire : « S’il y a un microprocesseur Intel, eh bien ton ordinateur sera de meilleure qualité ». Et du coup, les fabricants d’ordinateurs sont conduits à acheter des microprocesseurs Intel et donc à mettre ce sticker. Stratégie assez futée.

Troisième objet de la marque que l’on voit dans le B to C, business to consumer, c’est d’augmenter les effets d’échelle liés au business pour éliminer les petits acteurs au profit des gros acteurs. On a vu particulièrement cette stratégie dans le domaine de la chaussure de sport, donc on est dans le B to C, il y a un imaginaire autour de la marque puisque le marché prescripteur est les adolescents qui aiment bien discuter de leur chaussure de sport, et donc quelques marques mondiales ont fait un marketing mondial – donc très onéreux – pour être connues dans le monde entier, ce qui a rendu évidemment l’accès au marché difficile pour les plus petits acteurs. Donc ça Adidas, etc. Donc du coup le marché a augmenté sa concentration autour de quelques gros acteurs. Et vous remarquez qu’on a vu ça dans la chaussure de sport beaucoup plus que dans la chaussure de ville parce que la chaussure de ville, le marché prescripteur ce sont les adultes qui ont peu d’imaginaire autour de leur marque de chaussures. Ils en parlent peu, ils parlent plutôt de leur marque de voiture ; et dans l’automobile effectivement il y a bien une augmentation des effets d’échelle à partir d’une stratégie de marque, une dépense marketing au niveau mondial.

Voilà les trois fonctions de la marque : rendre une différenciation non imitable – n’est-ce pas mon ami Maître Yoda ? – faciliter la distribution avec ses distributeurs en s’adressant aux clients de ses clients et augmenter les effets d’échelle dans son business. Une marque doit servir au moins à un de ces trois effets. Sinon elle ne sert pas à grand-chose.

Voilà les stratèges et les autres ce que je voulais vous dire sur la marque, objet stratégique essentiel et très émergent depuis une trentaine d’années. Il me reste à vous inviter à cette chaîne Youtube. Toute petite marque. À bientôt.

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