Louis XIV écrit à ses peuples

 

Louis XIV écrit à ses peuples

 

 

Bonjour les stratèges et les autres. Alors aujourd’hui une petite leçon d’histoire à propos de Louis XIV. Nous sommes à l’hiver 1709. La situation de la France est désespérée. Pendant cet hiver-là, la température est entre – 10°C et – 20°C pendant deux mois, le bétail meurt, on pense que 500 000 Français sont morts de faim. Et pendant cet hiver-là, la France est en guerre et sa situation militaire est désespérée. Il faut absolument la paix. Le vieux Louis XIV qui vient d’avoir soixante-dix ans, c’est énorme à l’époque, c’est beaucoup, envoie le marquis de Torcy négocier avec les Provinces-Unies à La Haye. Et le mandat qu’il lui donne est tout simple, c’est : cédez tout, la paix à tout prix. Et les Provinces-Unies imposent à la France des conditions très très dures. Il y a cinquante articles. C’est terrible. Et Torcy accepte, obéissant au Roi. Et puis voyant que Torcy a accepté, les Provinces-Unies donnent une cinquante-et-unième condition. Il s’agit de la guerre de succession d’Espagne et la cinquante-et-unième condition, c’est que le roi Louis XIV déclare la guerre à son petit-fils, roi d’Espagne. Puisqu’il s’agit de la succession d’Espagne. Il combattait au côté de l’Espagne et en conclusion de la paix on lui demande de déclarer la guerre à l’Espagne et à son petit-fils. Et c’est là que Louis XIV va dire cette fameuse phrase : « Puisqu’il faut faire la guerre, je préfère la faire à mes ennemis qu’à mes enfants. »

Alors comment réagit le Roi. Il dit : cela on ne peut pas. Et il va faire une chose inouïe. Il va écrire aux Français, c’est la première opération de relations publiques à tous les Français puisque le 12 juin 1709, il fait lire une lettre dans toutes les paroisses pour expliquer pourquoi il ne va pas signer la paix. Pourquoi il ne va pas accepter cette cinquante-et-unième condition. Je vous lis la lettre, elle est extraordinaire. Voilà ce qu’écrit le vieux roi :

« L’espérance d’une paix prochaine était si généralement répandue dans mon royaume que je crois devoir à la fidélité que mes peuples m’ont témoignée pendant le cours de mon règne, la consolation de les informer des raisons qui empêchent encore qu’ils ne jouissent du repos que j’avais dessein de leur procurer. J’avais accepté, pour le rétablir, des conditions bien opposées à la sûreté de mes provinces frontières ; mais plus j’ai témoigné de facilité et d’envie de dissiper les ombrages que mes ennemis affectent de conserver de ma puissance et de mes desseins, plus ils ont multiplié leurs prétentions.

Je passe sous silence, les insinuations qu’ils m’ont faites de joindre mes forces à celles de la ligue, et de contraindre le roi mon petit-fils à descendre du trône, s’il ne consentait pas volontairement à vivre désormais sans États, et à se réduire à la condition de simple particulier. Il est contre l’humanité de croire qu’ils aient seulement eu la pensée de m’engager à former avec eux pareille alliance. Mais, quoique ma tendresse pour mes peuples ne soit pas moins vive que celle que j’ai pour mes propres enfants ; quoique je partage tous les maux que la guerre fait souffrir à des sujets aussi fidèles, et que j’aie fait voir à toute l’Europe que je désirais sincèrement de les faire jouir de la paix, je suis persuadé qu’ils s’opposeraient eux-mêmes à la recevoir à des conditions également contraires à la justice et à l’honneur du nom français.

Voilà donc ce qu’écrit le vieux Roi à ses sujets. Et ce que nous inspire cette histoire, c’est que les Provinces-Unies qui avaient gagné ont finalement perdu. Parce que la guerre va se prolonger. Et en 1712, la France obtiendra de bien meilleures conditions – suite à des victoires – que celles proposées, qu’elle avait acceptées en 1709.

Alors vous voyez, dans une négociation, il faut bien peser le point d’équilibre. L’erreur qu’ont faite les Provinces-Unies, c’est qu’enivrés par leur victoire et leur force, ils ont été au-delà du point d’équilibre. Il faut savoir peser le point d’équilibre, jusqu’où on peut aller et où est le point de rupture. Et la leçon pour la France est tirée par Louis XIV qui a simplement dit : « Non possumus ». Nous ne pouvons pas. Eh bien voilà, dans les négociations, il faut aussi savoir ce que l’on ne peut pas concéder. « Non possumus », leçon du vieux Roi depuis Versailles.

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