Management : pertinence ou vérité ?

Management : pertinence ou vérité ?

Nous sommes assez d’accord pour dire : le management – et le management des hommes en particulier – c’est un facteur-clé de succès. D’où l’idée – c’est simple – la clé du succès, c’est de faire progresser le management. Et on va s’y mettre, on va faire des écoles de management. On va s’y mettre, voire même six mètres cinquante. Alors j’étais l’autre jour dans une entreprise pour laquelle je travaille depuis quelques années. Bon, elle vient juste en trois ans de tripler son chiffre d’affaires et son résultat… Mais enfin ce n’est pas important le résultat, ce n’est pas comme si c’était de l’argent. Et il y a deux ans, elle a été rachetée par une beaucoup plus grosse entreprise qui pendant deux ans lui a foutu la paix. Alors c’est une entreprise très innovante. Donc on fait des trucs très supers, on a des journées entières où on remplit les tableaux sur les idées. Trouvez-moi six cents idées pour ceci cela. Enfin bref, on s’amuse bien pour revenir à ce qu’on disait avant. Et puis il y a quelques temps, l’entreprise qui les a rachetés et qui leur avait foutu la paix pendant deux ans a dit : « Attendez, le management, c’est super important. Alors maintenant vous allez venir à nos séminaires de management. » Et les gens avec qui j’avais fait cette opération créativité ont été à une formation en management.

Alors on leur a expliqué – c’était une formation à la conduite de réunion – donc dans les cinq premières minutes vous faites le tour de table, ensuite vous écrivez l’ordre du jour au tableau de papier. Alors vous écrivez plutôt en bleu qu’en rouge, et puis en lettres capitales, parce que sinon ils ne sauront pas lire, etc. Ils ont eu toute la journée comme ça.

Donc, ce que cela m’inspire, c’est de dire oui, on veut faire progresser le management mais quel est le management modèle vers lequel on veut aller ? Et finalement, ça renvoie à une question qu’aurait pu poser Taylor : le bon management est-il taylorisable ? Est-il modélisable ? Taylor finalement, la clé de son idée – et ça explique pourquoi ça a mal tourné – c’est qu’il existe une meilleure façon de travailler. Que cette meilleure façon de travailler, on peut la définir. Et une fois qu’on l’a définie, il faut l’imposer. Donc au départ, ça commence de façon très sympathique, on va chercher la meilleure façon de travailler. Mais ça finit dans le totalitarisme le plus complet puisqu’une fois qu’on l’a définie – puisque c’est défini scientifiquement – il faut l’imposer.

Donc on retrouve bien parfois cette idée dans les formations au management. On va faire progresser le management, mais dans une vision taylorienne. C’est-à-dire qu’il existe une meilleure façon de manager. Et ça, on va vous l’expliquer. Alors là, vous comprenez que les entreprises qui sont dans cette pensée-là – vous avez des gens comme ça qui ont un tableau Excell à la place du cerveau – les choses sont claires. L’horizon s’éclaircit, d’ailleurs on voit mieux le mur.

Et dans ces entreprises, effectivement, la conception taylorienne du management est transformée en une conception taylorienne du travail. Au fond, les gens ne vous le disent pas, mais ce qu’ils pensent, c’est que l’avenir appartient à ceux dont les ouvriers se lèvent tôt. Ce qui n’est pas forcément faux d’ailleurs. Alors je n’ai simplement qu’une petite chose à dire d’ailleurs. Il faut se poser la question : est-ce que le management est affaire de pertinence ou de vérité ? Voyez-vous, pour tous ceux qui ont eu un enfant qui apprend à marcher, il se passe quelque chose vers treize – quatorze mois, c’est que le gamin fait ses premiers pas. Et là, je peux manager la situation soit selon la pertinence, soit selon la vérité. Si je lui dis la vérité, je lui dis : « Mon pauvre fils – je n’ai eu que des fils – tu marches comme une quiche. » Ça, c’est vrai. Est-ce que c’est ça qui l’aide à apprendre à bien marcher ? Je n’en suis pas sûr. Donc j’ai fait comme tous les parents, j’ai dit : « Ah, c’est bien mon chéri, c’est bien, c’est très bien. » Ce qui était complètement faux. Mais ce qui était pertinent dans la situation.

Alors quelle est la différence entre le vrai et le pertinent ? C’est que le vrai est vrai devant l’éternité et pour l’éternité, le pertinent fonctionne en situation. Et nous savons tous – je vous l’ai montré avec cet exemple de l’enfant – qu’il y a des choses qui ne sont pas du tout vraies mais qui sont très pertinentes et il y a des choses qui sont très vraies mais qui ne sont pas du tout pertinentes. Posez-vous cette question, mais il me semble fondamentalement que c’est la question qu’aurait pu nous poser Taylor : existe-t-il, peut-on définir une bonne façon de manager ? Il n’y a pas de réponse définitive. Il n’y a pas de réponse vraie. Il n’y a que des réponses pertinentes.

Donc nous ne pouvons pas aborder l’apprentissage du management comme nous abordons l’apprentissage de la chimie. Voilà. La chimie, je vais vous apprendre : ça, c’est vrai, ça, ce n’est pas vrai. Le management ne fonctionne pas comme ça, il fonctionne en situation. Donc, quand on vous dit des choses sur le management, la question que vous avez à poser, ce n’est pas seulement : est-ce que ce qu’il est en train de nous baratiner est vrai ? La vraie question c’est : qu’est-ce que j’en fais demain matin à huit heures ? Et il y a peut-être des choses qui ne sont pas très futées mais qui sont très applicables, et vice-versa.

Les valeurs, justement, relève tout à fait – ça a été évoqué – de cette distinction entre le vrai et le pertinent. Parce que les valeurs affichées – entre nous – elles sont toujours très sympathiques. Et puis je me souviens, pour l’an 2000, un jour je suis invité sur une radio et la journaliste me dit : « Alors pour le troisième millénaire, quelles sont les nouvelles valeurs ? ». Il n’y a pas de nouvelles valeurs depuis Platon. Ce n’est pas parce qu’on change de millénaire que je vais vous expliquer que le mépris est mieux que le respect et que la méchanceté est meilleure que la gentillesse. Je ne vois pas pourquoi ceci aurait changé et ça a été dit il y a vingt-cinq siècles – ou vingt-quatre – par Platon. Et donc, il y a quelque chose de très sympathique dans les valeurs. D’autant plus qu’elles sont vraies. Mais ce qui compte, ce n’est pas les valeurs affichées mais les valeurs vécues. C’est la pertinence. Sinon vous risquez d’appliquer une chose, c’est que la vacance des grandes valeurs va ajouter à la valeur des grandes vacances. C’est-à-dire que plus personne ne va travailler.

Voilà donc sur les valeurs et les vacances, Frédéric, je te passe le ballon ovale.

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