Performance et motivation

Performance et motivation

Entre performance économique et engagement, on a parlé de causalité. Il faut quand même regarder cela avec prudence. On sait qu’il y a une très bonne corrélation entre le nombre des suicides et le nombre des ascenseurs. De là à dire que les ascenseurs sont les causes des suicides ou les suicides les causes des ascenseurs, il y a un pas que je ne franchirai pas. On peut imaginer que quand la performance de l’entreprise est bonne, ça a un effet sur la motivation. Ça peut fonctionner dans les deux sens, il y a un effet systémique. Comme dit le proverbe anglais, rien ne réussit mieux que le succès.

Deuxième point que je voulais souligner, c’est qu’on a parlé de talent, beaucoup. Et on imagine bien que plus nos métiers nous amènent à manipuler de l’information et des symboles comme dit Robert Reich, plus le facteur talent intervient dans le travail. Ce qui me donne à penser qu’il ne faut quand même pas oublier que le premier facteur de performance n’est pas la motivation, c’est la compétence. Quelle que soit ma motivation pour battre Nadal demain à Roland-Garros, je ne le ferai pas car je n’en ai pas la compétence. Quelle n’aurait pas d’ailleurs été notre surprise si Laurent Blanc, pour faire l’équipe de France, avait dit : « J’ai choisi les vingt-trois joueurs les plus motivés. » Non, il a pris les vingt-trois plus compétents et il essaie de les motiver. On ne peut pas inverser. Il y a le théorème de Domenech qui, lui, avait pris les vingt-trois moins motivés. Ça ne marche pas non plus.

N’oublions pas cela, le premier facteur de la performance, c’est la compétence. Et la motivation et l’engagement viennent ajouter un facteur multiplicateur à la compétence. Ce qui me fait penser d’ailleurs – puisqu’on parle d’engagement – qu’il y a un malentendu. Quand on parle de motivation les employeurs parlent d’implication et les salariés parlent de satisfaction. Ils ne parlent pas de la même chose.

Sur la satisfaction c’est très simple. On sait que ce n’est pas un facteur de performance. C’est-à-dire que si les toilettes sont sales, ils râleront mais ils travailleront de la même façon. Ça ne sert à rien d’augmenter les gens pour qu’ils deviennent plus performants. S’ils sont augmentés, ils deviendront plus satisfaits. Mais pas forcément plus performants.

Par contre, sur l’implication, il y a deux choses que l’on sait assez précisément. D’abord qu’il y a une part qui tient à la personnalité. C’est d’ailleurs pour cela qu’on fait passer des entretiens de recrutement. S’il n’y avait pas besoin de tester la personnalité dans l’implication, on se contenterait du CV. Et deuxièmement – ça c’est une logique poppérienne issue de la philosophie des sciences – on sait beaucoup mieux ce qui démotive que ce qui motive. Et globalement dans la vie on connaît beaucoup mieux et plus précisément les stratégies qui ne fonctionnent pas que les stratégies qui fonctionnent. Si vous me dites : « Une stratégie ceci cela est-ce que ça va marcher ? » je n’en sais rien. Par contre, si vous me dites que vous voulez ouvrir un bar à vin à Téhéran, je peux vous dire que ça ne marchera pas.

Donc, la première chose qu’on a à faire en termes de motivation et d’engagement, c’est de ne pas démotiver. Car il y a dans les entreprises beaucoup de gens engagés et démotivés. Qui deviennent d’ailleurs des adversaires de l’entreprise. Attention à cela. Si mon ami François Dupuy avait été là, il vous aurait dit sans doute qu’il y a deux grandes forces qui commandent l’homme au travail : l’intérêt et l’émotion. Et du point de vue de la motivation, ça nous pose un problème. Si l’homme agit en fonction de ses intérêts au travail comme le professe François Dupuy dans ses livres, ça veut dire que son intérêt est quand même de travailler le moins possible et de gagner le plus possible. Ceci ne va pas dans l’intérêt de l’entreprise. Et si à l’inverse je pense que l’homme agit en fonction de ses émotions, je vais utiliser l’émotion pour lui donner une motivation supplémentaire. Sauf que l’émotion n’est pas durable. C’est toutes les limites qu’il y a quand on veut motiver par les émotions.

On est face à une espèce de paradoxe qui me ramènerait à quelques idées simples. Je me suis un peu frité avec un de mes clients il y a deux jours au téléphone. Je lui ai dit : « Écoute, il y en a marre. Tu ne fais pas ce que tu dis, tu ne dis pas ce que tu fais. Alors tu es très sympa mais tout le monde en a marre de toi dans l’entreprise. Parce que ton magistère est celui de la parole sauf que tu as démonétisé ta parole. Puisque tout le monde sait que quand tu dis quelque chose, tu ne le feras pas. Ça devient vraiment inquiétant. » Je me dis qu’au fond c’est très simple, la première règle du management : je dis ce que je fais, je fais ce que je dis. Et c’est la première marque du respect.

Donc on va parler un peu plus de la coopération avec Frédéric mais je me disais simplement qu’au-delà du talent individuel, la performance vient de notre capacité à coopérer. Et notre capacité de coopérer nécessite un peu de vertu. Frédéric, je te l’ai passée.

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