La non-valeur de l’information

La non-valeur de l’information

Le premier point qui m’a frappé, c’est que la part de la valeur dans l’économie liée à l’information n’a cessé d’augmenter depuis deux siècles mais encore plus depuis une vingtaine d’années. Donc il semble que ce qui a de la valeur, c’est l’information. Et pourtant en termes monétaires, il y a de plus en plus d’information qui n’a pas de valeur. Alors ça ne veut pas dire qu’elle n’a pas de valeur pour nous, que ça ne nous intéresse pas. Mais elle n’a pas de valeur ou de moins en moins de valeur monétaire. Pourquoi ? Parce qu’il y a un vieux théorème d’économie qui dit que la valeur monétaire que nous attribuons à quelque chose n’est pas liée à l’utilité. Par exemple, nous sommes tous en train de respirer, ce qui veut dire que l’air qu’il y a dans cette pièce nous est très utile. S’il n’y en a plus, dans trois minutes, on est mort. Et pourtant, nous ne le payons pas. Parce qu’il n’y a pas d’élément de rareté. Alors l’économie, comment elle se raccroche à ça ? C’est de dire qu’en fait, ce qui fait la valeur, c’est le coût marginal. C’est-à-dire le coût de la dernière unité produite. Et il y a un exemple célèbre là-dessus qui est qu’aujourd’hui la viande de poulet au kilo vaut moins cher que la viande de lapin alors qu’au xixe siècle, c’était l’inverse. Ce n’est pas parce que les hommes aiment plus ou moins le lapin ou le poulet. C’est parce qu’on a industrialisé l’élevage du poulet et pas celui du lapin. Donc c’est ça qui a fait baisser le prix. Donc la valeur est très liée au coût de production.

Il se trouve sur l’information qu’on avait lié la valeur au support matériel. C’est-à-dire qu’on ne vous vendait pas une musique, on vous vendait un disque. On ne vous vendait pas les idées d’un philosophe, on vous vendait les pages d’un livre. Et le coût de production de ce support matériel n’était pas nul. Et donc, il avait une valeur. Donc, c’est comme ça que l’économie de l’information est restée pendant longtemps une industrie – on parlait de l’industrie du disque, de l’industrie du livre – en s’accrochant à un bien matériel industriel dont le coût de production n’était pas nul. Et puis voilà-t-il pas qu’aujourd’hui, on sait transmettre l’information sans coût, on sait la dupliquer sans coût. Ce qui veut dire que le coût marginal est nul. Ce qui veut dire que la valeur monétaire de l’information tend vers zéro. Et pourtant, c’est quelque chose qui est de plus en plus important et utile dans, d’une part la performance des organisations – on est dans une économie du savoir donc il faut bien se relier au savoir. Première remarque. Et deuxièmement notre vie est beaucoup une consommation d’informations. Nous passons du temps à prendre connaissance d’informations sur des écrans ou à lire, ou à écouter de la musique, à écouter de la radio, de la télévision, etc. Toutes choses que nous consommons, auxquelles nous consacrons du temps, donc qui nous apportent de la valeur mais que nous ne payons pas. La télévision grecque, elle s’est arrêtée, les gens râlent, mais personne ne la payait. Le problème, c’est qu’on la consommait, mais personne ne la payait. Bon.

Donc, on est dans un étrange paradoxe. Je note par exemple, Wikipédia, c’est quand même une encyclopédie performante qui ne nous coûte rien. Et je note d’ailleurs que pendant dix ans, j’ai entendu des gens qui m’expliquaient que ça ne pouvait pas marcher. Et ça ne pouvait pas marcher parce qu’il n’y avait pas de valeur monétaire donc on ne rémunérait pas les auteurs, donc ça ne marcherait jamais. Sauf que ça marche.

Share Button