Introduction aux salauds en entreprise

 

Introduction aux salauds en entreprise

 

 

Oui alors on a reçu beaucoup de messages disant : mais quel superbe thème, on a des histoires, etc. Et pourtant, on n’en parle pas souvent. Il y a quelqu’un qui m’a écrit, qui m’a dit : « Il y a eu tellement de jours où j’ai subi les salauds en entreprise et je n’en ai jamais parlé, si on pouvait renverser, pour une fois en parler et un peu moins les subir… » Donc il y a apparemment plus d’expériences que de débats. D’où l’idée de croiser les regards.

Alors le regard romanesque parce que, comme l’a dit Paul Ricoeur, la vie est une mise en récit, c’est un récit que nous nous racontons. Et apparemment le thème du salaud en entreprise fait les beaux jours du roman et du cinéma. Ça inspire. Donc c’est un sujet plus que romanesque, bien réel puisque on en fait des récits. Et donc Sophie va nous faire cheminer dans ce rapport-là.

Un regard juridique. Pierre, tu vas nous poser la question : « Finalement, est-ce que la loi peut quelque chose contre le mal ? » Est-ce que la loi peut quelque chose contre l’immoralité ?

Un regard philosophique bien sûr. Pourquoi ? Parce que derrière le thème un peu provocateur dans sa formulation du salaud en entreprise, il y a quelque chose de plus singulier, qui nous interpelle plus. C’est tout simplement l’irruption du mal dans nos vies. Qu’est-ce qu’on fait avec le mal ? Comment on s’en accommode ? D’où vient-il ? Et puis il y a aussi cette distance entre l’économie et la morale. Vous savez que Kant dit que la morale c’est de traiter tout être humain – si j’ai bien compris, je parle sous le contrôle d’une spécialiste, je peux parler de philosophie, je n’y connais pas grand chose donc je ne suis pas trop influencé – c’est de traiter tout être humain comme une finalité de l’humanité plutôt que comme un moyen. C’est exactement l’inverse de ce que l’on fait dans le travail. C’est-à-dire que dans le travail, on embauche les gens comme un moyen. Une utilité, indépendamment de la question du développement de leur humanité. Ça veut dire que le processus économique est à côté de la morale par sa définition même, son fonctionnement. D’où sa vulnérabilité, sans doute, à l’irruption du mal. Que faire avec le mal ?

Il y a quelques temps je discutais avec une… enfin dans un groupe, peu importe. Et je disais : « Eh bien moi j’ai un dossier RAF ». Alors c’est quoi le dossier RAF : « Rien à foutre ». Les gens qui m’emmerdent… je les mets dans le dossier rien à foutre. Quelqu’un m’a dit : « Mais non, on ne peut pas, ce n’est pas possible. C’est immoral de raisonner comme ça, c’est impossible d’avoir un dossier. » Elle était très choquée. Je me suis dit qu’effectivement, chacun nous avons sans doute nos petits accommodements, nos façons de vivre et de survivre à ces expériences.

Alors j’anticipe un peu sur ce que va dire Sophie mais c’est un peu le thème de ce livre Objectif zéro sale con. Dont je ne saurais trop vous recommander la lecture. D’ailleurs l’auteur fait la même expérience que nous. Il dit : « Mais depuis que j’ai écrit ce livre, le nombre de mails que je reçois où des gens me racontent leurs débats avec des sales cons. » Alors vous me direz, le salaud, le sale con, quelle est la différence ?

En fait, lui, il parle des sales cons certifiés. Voilà, il y a un test et si vous avez plus de 15 / 20, vous êtes certifié. Et en fait, le sale con certifié, c’est un peu ce que nous appelons les salauds, c’est-à-dire les personnes qui procèdent par agression et humiliation des autres. De façon assez systématique. Et ce qui est très frappant, c’est que dès qu’on parle de ça, tout le monde pense à quelqu’un. « Ah oui, le mec qui humilie les autres, qui traite mal ses inférieurs, qui les injurie, qui agresse, etc. – Ça peut être une femme ! – Ah oui, ça peut être une femme, c’est expliqué dans le livre. » Et ça, c’est ce qu’il appelle le sale con certifié que j’appellerai le salaud. Par opposition à ce qu’usuellement on appelle le pauvre con.

Alors ça c’est un peu autre chose. Je voudrais faire une distinction dans mon esprit. Enfin une petite métaphore. Je trouve que les cons sont sphériques. C’est-à-dire, c’est marrant, essayez d’utiliser l’expression « con sphérique » et tout le monde comprend ce que ça veut dire. Alors ça veut dire quoi. Ça veut dire que vous regardez par n’importe quel côté, c’est pareil. Ce qui n’est pas le cas du salaud. Ce qu’il montre très bien dans ce livre, c’est que les salauds ont des stratégies et ce sont des gens qui ont en général beaucoup de qualités. Ce qui leur permet de survivre à leurs comportements parfois indignes.

Donc il faut bien distinguer ce qui est de l’ordre d’une certaine homogénéité et ce qui est de l’ordre finalement au contraire d’une grande inhomogénéité dans la personnalité. Ou des gens qui peuvent être brillants ou charmant et être de vrais et purs salauds.

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