Le génie de Talleyrand

Le génie de Talleyrand

Bonjour les stratèges et les autres. Alors nous allons faire un petit voyage dans le temps pour nous trouver à l’automne 1814 à Vienne. Où a lieu de le Congrès de Vienne, comme son nom l’indique. Après les guerres napoléoniennes, après la défaite de la France, après l’invasion de la France – c’est la première fois depuis des siècles que Paris était occupée – eh bien il y a un congrès pour établir la paix. Et il y a des puissances alliées, à savoir la Russie, l’Autriche, la Prusse et l’Angleterre qui vont donc négocier la paix avec la France, la puissance vaincue. Et les puissances alliées, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles ont beaucoup souffert de la période napoléonienne et que donc elles ont beaucoup de raisons de se méfier de la France, voire de punir la France.

Le négociateur français, c’est Talleyrand, et Talleyrand sait qu’il arrive dans une fâcheuse position. Et voilà comment il va retourner la situation et obtenir que la France soit traitée non pas en vaincue mais à égalité. C’est une leçon de diplomatie et de stratégie absolument stupéfiante. Je vous lis dans les Mémoires de Talleyrand, donc c’est le volume 2 des Mémoires qui en comptent cinq, belle édition de 1967, comment Talleyrand raconte son entrée en matière. Donc les puissances alliées sont là, ils sont cinq autour de la table, elles ont parlé, les quatre autres ont parlé et voilà comment il raconte son entrée en matière :

« Je déclarai que des puissances alliées à un congrès dans lequel se trouvaient des puissances qui n’étaient pas alliées était à mes yeux bien peu propre à faire loyalement des affaires ensemble. Je répétais avec un peu d’étonnement et même de chaleur le mot de puissances alliées... « Alliées…, dis-je, et contre qui ? Ce n’est plus contre Napoléon, il est à l’île d’Elbe… ; ce n’est plus contre la France : la paix est faite… ; ce n’est sûrement pas contre le roi de France : il est garant de la durée de cette paix. Messieurs, parlons franchement, s’il y a encore des puissances alliées, je suis de trop ici ». – Je m’aperçus que je faisais quelque impression, particulièrement sur M. de Gentz. Je continuai : « Et cependant, si je n’étais pas ici, je vous manquerais essentiellement. Messieurs, je suis peut-être le seul qui ne demande rien. De grands égards, c’est là tout ce que je veux pour la France. Elle est assez puissante par ses ressources, par son étendue, par le nombre et l’esprit de ses habitants, par la contiguïté de ses provinces, par l’unité de son administration, par les défenses dont la nature et l’art ont garanti ses frontières. Je ne veux rien, je vous le répète ; et je vous apporte immensément. La présence d’un ministre de Louis XVIII consacre ici le principe sur lequel repose tout l’ordre social. Le premier besoin de l’Europe est de bannir à jamais l’opinion qu’on peut acquérir des droits par la seule conquête, et de faire revivre le principe sacré de la légitimité d’où découlent l’ordre et la stabilité. Montrer aujourd’hui que la France gêne vos délibérations ce serait dire que les vrais principes ne vous conduisent plus et que vous ne voulez pas être justes […]. »

Effectivement, à la stupéfaction des historiens, la France va sortir indemne ou presque du Congrès de Vienne. Je dis « ou presque » parce que avec les Cent Jours, ça a un peu affaibli la position de Talleyrand. Mais la France ne va pas être traitée en puissance vaincue. Que fait Talleyrand ? Il fait donc quelque chose de classique : c’est montrer que la France, même vaincue, reste la première puissance européenne et que donc il énumère tous ces facteurs de puissance : la démographie, l’étendue, etc. Mais avant cela, il fait deux choses essentielles qui vont le mettre en bonne position. La première, c’est d’expliciter l’implicite. Au lieu de mettre sous le tapis ce qui ne lui convient pas, il le sort : est-ce que vous êtes alliés contre la France ? Obligeant les autres à le dénier et du coup, ayant énoncé le problème, ayant amené les autres à nier que c’était un problème, eh bien le problème n’existe plus.

Deuxième idée très puissante dans ce que fait Talleyrand, c’est qu’en fait il définit les enjeux et le cadre de la négociation. C’est-à-dire qu’il définit un enjeu supérieur qui est de faire une paix durable en faisant en sorte que personne ne sorte de ce congrès humilié et donc il définit le cadre de la négociation. Et voyez-vous, quand on définit le cadre, on prend une forme de pouvoir. Ce qui est très frappant dans le Congrès de Vienne, c’est que Talleyrand représente la puissance vaincue et c’est pourtant lui qui va prendre le pouvoir pour conduire le Congrès j’allais dire à sa guise, pas tout à fait, mais enfin qui va conduire les travaux et qui va en définir les enjeux et les cadres.

Définir les enjeux, définir le cadre, passer à l’enjeu le plus important, eh bien c’est une façon de prendre le pouvoir. Voilà les stratèges et les autres ce que l’on pouvait dire sur l’habileté de Talleyrand et il ne me reste plus qu’à vous suggérer de vous abonner à la chaîne Youtube. À bientôt.

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