Le modèle de la poubelle

 

Le modèle de la poubelle

 

 

Bonjour les stratèges et les autres. Je vais vous parler aujourd’hui du modèle de la poubelle d’un certain James March qui donne un éclairage très important sur la stratégie. Je m’aperçois que c’est une idée que j’utilise beaucoup. James March nous dit grosso modo que nous pensons à une entreprise, nous évoquons les problèmes qu’il y a dans l’entreprise mais que la réalité physique de l’entreprise, de l’organisation, ce n’est pas des problèmes, ce sont des solutions. C’est-à-dire qu’il y a des gens qui sont là pour apporter des solutions à des problèmes. Il y a un directeur de la communication pour s’occuper du problème de la communication, un directeur des ressources humaines, un directeur du marketing. Tous ces gens-là sont des solutions à des problèmes. Bien.

Mais qu’est-ce qui peut arriver de pire à une solution ? C’est de ne pas avoir le problème qui va en face. De même que le comble de la clé, c’est d’être mise à la porte. Ne pas avoir le problème qui va en face ; c’est-à-dire imaginez un consultant a convaincu un chef d’entreprise qu’il y avait un gros problème de communication dans son entreprise et donc l’a convaincu d’embaucher un directeur de la communication. Pour résoudre le problème de communication. Imaginez-vous qu’au bout de six mois, le directeur de la communication va dire : « Monsieur le président, vous m’avez embauché pour résoudre le problème de communication, je l’ai fait, vous pouvez donc me licencier » ? Non, au bout de trois ou six mois, il va dire au président : « Mais attendez, le problème de communication que vous aviez évoqué en fait est beaucoup plus grave, d’après mon diagnostic, il y a la communication interne, la communication externe. Donc il va embaucher un directeur de la communication interne qui va faire un journal d’entreprise, il va embaucher un responsable des relations extérieures et patati, et patata.

Qu’est-ce qu’il va faire ? C’est élargir le problème pour élargir la solution. Voyez, toute solution a un réel problème : c’est qu’elle doit résoudre son problème, mais pas trop parce qu’elle risquerait de disparaître. Alors ceci est assez lié au phénomène bureaucratique mais ce qu’en déduit James March, c’est qu’en fait la notion de problème n’est pas objective. C’est ce dont on choisit de s’occuper. C’est-à-dire qu’à un moment on vous dit : voilà il y a tel problème et on va s’en occuper. Et que les solutions sont assez occupées à générer des problèmes. D’où cette idée de modèle de la poubelle. James March utilise une métaphore. Il dit en fait imaginez que dans l’entrée de l’entreprise, il y a une poubelle avec dedans des problèmes potentiels et quand une solution n’a plus de problème, au lieu de disparaître, elle va dans la poubelle à problème et elle sort un problème et elle explique que c’est un problème important et qu’il va falloir le résoudre.

Vous pouvez remarquer la même chose dans la société. Si vous évoquez les problèmes qu’on pose dans notre société aujourd’hui, ils ne sont pas les mêmes que ceux qu’on posait il y a cinquante ans. Par exemple on parle beaucoup des féminicides. C’est effectivement quelque chose d’horrible et c’est un vrai problème. Mais il y a cinquante ans, on n’en parlait pas et pourtant il y en avait probablement plus. Donc il y a un moment où on choisit de s’occuper d’un problème plutôt que d’un autre.

Alors, quel rapport avec la stratégie ? Eh bien, pour une entreprise, effectivement, on va s’occuper d’un certain nombre de problèmes, les solutions vont vendre des problèmes à l’entreprise, dont elles sont la solution, mais ce ne sont pas forcément les problèmes à enjeu, les problèmes importants. Donc il y a toujours la question préliminaire, c’est de distinguer les problèmes annexes des problèmes stratégiques. Et ça, c’est une vraie démarche de stratégie. Si on ne le fait pas, eh bien on va beaucoup travailler mais sur des choses qui ne sont peut-être pas très importantes. La couleur de la peinture du garage à vélo, ce n’est pas forcément un problème stratégique. Comme j’en ai parlé dans une autre vidéo.

Voilà donc, toujours essayer d’avoir une vision stratégique du problème. Quel est le… quelles sont les questions stratégiques qui ont un réel enjeu ? Et je peux vous dire que ça ne va pas de soi. Parce que moi quand je commence une mission de stratégie, effectivement je demande toujours au dirigeant les problèmes qu’il se pose, et on s’aperçoit au bout d’un moment que les problèmes qu’on va traiter ne sont pas forcément ceux qu’on se posait. Il y a des problèmes stratégiques qu’il n’avait pas vus et des problèmes sur lesquels il s’embêtait beaucoup et qui ne sont pas stratégiques. Donc le modèle de la poubelle est une métaphore extrêmement intéressante. Les solutions sont à la recherche de leur problème, vont les sortir de la poubelle au besoin et il ne faut pas trop se laisser enfumer là-dessus.

Voilà les stratèges et les autres, le problème que je voulais sortir aujourd’hui à propos du modèle de la poubelle. À bientôt.

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