Gaullisme et courage

Gaullisme et courage

Je ne sais pas si je suis qualifié, d’ailleurs, pour réagir puisque les ingénieurs se sont fait allumer et que je suis ingénieur. Normalement il y a prescription puisque ça s’est passé il y a plus de vingt ans, sauf si vous estimez que c’est un crime contre l’humanité imprescriptible. Ce qui ne me semble pas totalement prouvé. D’ailleurs, votre vision de l’ingénieur n’est pas sans me rappeler ce que disait il y a très longtemps Auguste Detoeuf sur les trois façons de couler une entreprise. Il disait : « Il y a trois façons de couler une entreprise, le jeu, les femmes et les ingénieurs. Le jeu, c’est le plus rapide, les femmes, c’est le plus agréable, mais les ingénieurs, ça reste le plus sûr. » Pour les Essec qui sont dans la salle, je vous signale quand même que les ingénieurs savent que les ordinateurs ne font pas des milk-shakes. Eux. Et sur le turn-over, vous aurez noté un théorème : « Le turn-over est proportionnel au temps qu’il faut pour avoir la réponse une fois qu’on a posé la question. »

Alors maintenant plus sérieusement. Merci, j’ai entendu ce que c’est qu’une vision en acte, ce que c’est que le courage en acte et ce que c’est que le sens en acte. Comme je vous le disais tout à l’heure, ce sont des mots extrêmement sympathiques : la vision, le courage et donner du sens. Mais enfin, tant qu’on ne sait pas comment ça s’incarne dans la réalité, ça n’a pas grande valeur.

Alors cette idée d’incarnation me fait penser à une autre incarnation de la vision, du courage et du sens. Un jour, j’étais à la messe un dimanche matin, enfin comme tous les dimanches matins d’ailleurs, et j’avais apporté mon iPhone que j’avais laissé sur vibreur. Et là, je reçois un texto de Jean-Claude Volot, le médiateur de la sous-traitance, qui me dit : « Pourquoi tu n’es pas gaulliste ? Réponse urgente. » Alors je téléphone à Dieu, je lui demande d’arrêter la transsubstantiation pour avoir le temps de répondre et je lui fais quelques petites choses sur des décisions du général de Gaulle qui me semblaient pas extraordinaires. Et il me répond : « Tu n’as rien compris, comme d’habitude. » Alors je me souviens qu’effectivement, dans mon livre sur de Gaulle, dans l’introduction, j’avais dit que j’étais la seule exception à la phrase de Malraux qui disait que « tout Français a été, est ou sera gaulliste ». Et je disais que c’était vrai pour tout Français sauf moi. Alors ça avait dû l’énerver et le dimanche matin, lui, au lieu d’être à la messe, il devait être en train de lire.

Et puis je le revois quelques temps après. Il me dit : « Bon, j’ai fini le bouquin. Finalement, j’ai compris pourquoi j’étais gaulliste. » « Ah, je lui dis, pourquoi ? ». Il me dit : « C’est un truc, c’est simplement une page à la fin. » C’est un peu con de lire un livre de trois cents page s’il n’y en a qu’une qui est importante. Mais enfin c’est comme ça. Il me dit : « Tu dis que le gaullisme se résume à trois notions : le courage, le réalisme et le désintéressement. » Et ça m’a fait penser à ce que j’ai entendu. Effectivement, la vie du général de Gaulle est quelque chose d’intéressant en ce sens qu’elle est aussi, elle, incarnation de valeurs du management. On peut dire tout ce qu’on veut sur de Gaulle, personne n’a jamais dit qu’il n’était pas courageux. Et on a tous à l’esprit mille et une situations qui nous montrent qu’il était courageux.

On parle toujours de l’appel du 18 juin, mais il y a une question qu’on ne s’est jamais posée, c’est pourquoi de Gaulle était à Londres le 18 juin et pas Mandel. Parce qu’évidemment, Churchill aurait préféré que ce soit Mandel qui lance l’appel du 18 juin. Eh bien tout simplement parce que le 17 juin, il fallait monter dans un avion pour Londres et que Mandel, il n’a pas voulu. Voilà. Et que de Gaulle, lui, il a sauté dans l’avion en faisant croire qu’il avait un rendez-vous pour que Pétain ne le fasse pas arrêter.

Donc, ces notions de courage, ce n’est pas seulement des grandes déclarations. C’est simplement que ce matin du 17 juin à Bordeaux, de Gaulle a sauté dans l’avion. Et l’autre, il s’est fait prendre bêtement et il est mort non moins bêtement d’ailleurs. Tué par la Milice en forêt de Fontainebleau en juillet 1944.

Deuxième illustration d’une qualité en acte, c’est le réalisme. C’est-à-dire qu’on dit toujours : « Oui, de Gaulle il était dans les hautes sphères, ça planait, etc. Il ne comprenait rien à l’économie. » Du tout, du tout. Quand on regarde concrètement ce qu’il a fait, c’était un type hyper réaliste. Entre autres dans la gestion de l’économie. Sa présidence a été une grande période de redressement économique.

Et troisième notion qui me fait penser au sens – et je trouve que de ce point de vue-là, l’exemple de Google est très significatif – c’est la notion de désintéressement. Le sens, c’est au-delà de l’intérêt. C’est-à-dire que tout le monde sait qu’une entreprise doit gagner de l’argent, tout le monde sait qu’une entreprise a des actionnaires qui veulent gagner de l’argent, etc. Mais tout le monde sait aussi que le vrai sens des choses n’est pas là. Personne ne va tomber amoureux d’un taux de croissance. Personne ne va tomber amoureux de stock-options. Donc la question du sens, elle naît tout de suite de ce qui dépasse l’intérêt. Je pense que la vie du général de Gaulle nous donne de multiples exemples de désintéressement. Pour information, vous savez qu’il avait fait installer un compteur d’électricité sur son appartement à l’Élysée. Pour payer ses factures d’électricité. Évidemment, par rapport à ce que l’on sait de certains de ses successeurs, ça donne une idée de ce que peut être le désintéressement en acte.

Maintenant je vais passer la parole à mon voisin. Ce n’est pas parce qu’il ne soutient pas l’industrie du rasoir ni de la cravate qu’il n’a pas le droit de parler.

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