Il faut cultiver l’ignorance

 

Il faut cultiver l’ignorance

 

Donc première idée, idée de courage. Notre volonté n’est pas sans pouvoir sur notre temps ressenti. Parce que notre temps ressenti est structuré par l’information. Et notre rapport à l’information, nous le décidons en partie. C’est nous qui décidons d’être à l’écoute de l’autre, vraiment à l’écoute ou pas. Pendant ce temps-là. C’est nous qui décidons de lire ce livre plutôt que d’écouter France Info. Oui parce que sur France Info on dira qu’une bombe est tombée à tel endroit mais on ne vous expliquera pas ce qui s’est passé en 1941 en Yougoslavie. Et donc si vous ne savez pas ce qui s’est passé en 1941 en Yougoslavie, vous vous demandez pourquoi il y a des bombes à Sarajevo. Etc., etc. Ça c’est nous qui décidons. Notre rapport à l’information, nous le décidons.

Ne faites pas confiance aux outils informatiques d’information qui eux sont structurés par les conditions techniques de la vitesse. Ce n’est pas parce qu’on vous appelle au téléphone pendant une réunion que vous devez répondre. C’est techniquement possible, ça ne veut pas dire que c’est judicieux. Non parce que moi je travaille avec des chefs d’entreprise. Quand j’ai quelque chose à leur dire, je les appelle au téléphone. Alors j’en ai à peu près la moitié qui me disent : « Ah ben je ne peux pas te parler, je suis en réunion. » Je me dis que c’est justement ce que je voulais dire à leur répondeur. Non seulement ils ne font plus le travail de leur assistante, maintenant ils font le travail de leur répondeur, vous voyez. Mais ce n’est pas mal dans notre série : « Il ne suffit pas d’être inutile, encore faut-il être nuisible ». Parce qu’en faisant cela, je pense qu’il est en train de faire perdre du temps à dix personnes. Et de leur expliquer d’ailleurs qu’il n’est pas dans le contenu de la situation. Vous voyez ? Donc c’est perdant à trois niveaux. Parce que s’il me dit : « Je ne suis pas là, je suis en réunion », je ne vais pas lui dire ce que j’ai à lui dire. Je vais lui dire : « Rappelle-moi ». Ce que j’aurais dit au répondeur. Vous voyez. Donc là-dessus nous sommes bien… c’est bien nous qui choisissons.

Deuxième idée : humilité. Toute notre culture humaniste est fondée sur une idée du savoir arrogant. Plus je sais, plus je maîtriserai le monde. Et nous en connaissons maintenant les limites. Non pas que ce soit intrinsèquement faux mais c’est limité. Et je vous dis : « Il y a dans le temps une question d’humilité. Il faut cultiver l’ignorance qui est sensation du temps. » Vous n’imaginez pas le nombre de fois où des patrons me disent : « Tiens il faudrait demander cela à Untel – et ils me disent – non, non je ne vais pas lui poser cette question parce qu’il va me répondre cela. » Pas d’ignorance par rapport à l’autre. Non seulement je sais ce que je pense, mais je sais ce que l’autre pense et je sais ce qu’il va répondre. Je lui dis : « Mais non, demandez-lui. Il va répondre ça ou il ne va pas répondre ça. Qu’est-ce que vous en savez ? » Justement, je n’en sais rien, c’est pour ça que je pose la question. Posez les questions aux autres, ayez de l’ignorance par rapport à la pensée des autres. C’est comme ça que vous apprendrez à les écouter. Idem pour les situations.

Alors vous connaissez dans notre monde économique, on raisonne tout à fait à l’inverse. Les économistes vous expliquent ce qui va se passer. Ils n’ont pas d’ignorance par rapport à l’avenir. Hein, théorème de Baverez. Sachant qu’il va y avoir une catastrophe en 2040, voilà tout ce qu’on doit faire. On raisonne toujours par rapport à une espèce de savoir arrogant. Je m’approprie l’avenir et chez les économistes d’ailleurs je prends quelques acomptes sur les emmerdements – ça fait mieux pour être un prophète de l’apocalypse – et j’en déduis ce qu’on doit faire dans le présent. Oui sauf qu’il y a un petit détail, coco, un peu d’humilité. L’avenir, tu ne le connais pas.

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